Pierre Longuet est mort hier mercredi. Pour REFLETS Actuels, il avait répondu en 2015 aux questions de Gérard Delenclos. Une interview très personnelle qui mérite d’être relue au moment où le quartier du Boulingrin perd celui qui fut, avec humour et parfois provocation, le maire et longtemps l’âme de l’auto-proclamée commune libre du Boulingrin.
« Je crois que nous vivons une civilisation du temps extrêmement et exclusivement présent. Ce que vous avez été, ce que vous êtes ou ce que vous voulez être n’intéresse personne. Ce temps présent, c’est quand il est question d’eux. Aucun intérêt s’il s’agit des autres. L’égoïsme est à son apogée ». Pierre Longuet expose ce constat avec la sérénité d’un homme qui n’a plus rien à prouver mais qui se désole pourtant qu’il en soit ainsi.
Faut-il rappeler la carrière de cet amoureux du Boulingrin, quartier de Reims qu’il habite et qu’il défend avec autant d’humour que de pugnacité, un presque demi-siècle dans le métier du courtage en vins de Champagne qui fait de lui un expert reconnu de tous, un combat farouche pour le renouveau des Halles d’abord et pour le bien vivre du quartier ensuite, une fois les Halles rénovées ? Le goût du contact, comme celui des voyages et peut-être moins connue, à cause de sa pudeur, cette haine farouche de tous les égoïsmes imaginables.
Le monde associatif l’a toujours intéressé : « Heureusement qu’il existe des leaders dans le monde associatif, parce que trop d’autres se contentent de suivre, sans plus ». Tout sauf l’égoïsme. Pierre Longuet a toujours eu des envies de partage. Loin, très loin de l’aumône. Donner ne suffit pas : « Derrière ce geste, la manière existe, avec l’écoute, la bienveillance et l’envie de comprendre et de partager. Un geste et le mot qui va avec, juste pour dire que tu n’es pas en mission, mais plutôt en conviction ».
Dès son plus jeune âge, Pierre Longuet a été un leader dans les actions qui lui convenaient comme, par exemple, la conception du journal du Collège Saint Joseph, ou plus tard dans les innovations qu’il a apporté à son métier de courtier en vin de Champagne. Innover et les ennemis arrivent. Pierre Longuet assume : « Je n’ai jamais été un suiveur. Le contraire aurait pu m’énerver ».
La commune libre du Boulingrin ? L’histoire a commencé avec la rénovation des Halles, un lieu de vie à ressusciter d’urgence. Et avec les Halles, tout un quartier à animer : « Nous avons tellement réussi ce pari, avec nos amis d’Amic’Halles, que Madame Hazan a oublié de nous inviter à l’inauguration des Halles rénovées ». Ensuite, Pierre Longuet, infatigable, a eu l’idée de créer, sur le modèle de Montmartre, une commune libre. Iconoclaste, voici sa conception des choses : « Faire et dire ce que l’on veut dans le périmètre du quartier et plus si affinité, c’est-à-dire ouvert à ceux qui ont un peu d’humour pour exposer en souriant des pistes de bien-être pour tous ».
Que la fête commence !
« On arrête fin 2015 », la sentence de Pierre Longuet, annonçant sa démission d’ici à la fin de l’année, s’apparente bien à un appel à ceux qui voudront bien poursuivre l’aventure. Et les challenges ne manquent pas : un marché ouvert tous les jours et bénéficiant d’un vrai parking, véritable agora agrémenté de verdure, enfin débarrassé de projets immobiliers surencombrants. Un parking de courts séjours et surtout pas pour les voitures ventouses. L’agora, voilà exactement la philosophie de Pierre Longuet, telle qu’il la trouve et la fréquente assidument dans son conseil de quartier de Reims centre. Son Boulingrin rêvé ? « Un quartier dans lequel les gens se disent bonjour, sont de bonne humeur et se rendent service de porte en porte ».
Monsieur le Maire de la commune libre du Boulingrin, entre sérieux et plaisanterie, sait qu’il a réussi son opération empêcheur de tourner en rond quant à l’avenir des Halles. Pas raciste pour un sou, Pierre Longuet cultive cependant le distinguo entre ceux qui sont du quartier et ceux qui ne s’assimilent pas, comme parfois un manque de solidarité entre commerçants d’ici et d’ailleurs. Petit coup de nostalgie quand débarquent dans sa mémoire les petits sapins roses qui, un certain Noël passé, avaient enchanté le quartier : « Aujourd’hui, tout le monde s’en fout ! ».
Des regrets, Pierre Longuet n’en a pas. Mourir, maintenant il le peut, mais pas tout de suite, même s’il en a joué. Son enterrement polémique, beaucoup s’en souviennent, lui, il l’explique sans vouloir se justifier. La vie est une rigolade sérieuse : « Ce jour-là, mes amis et moi avons simplement voulu expliquer la vie et la mort … Aujourd’hui, on le referait, mais en mieux. C’était tout sauf une mascarade. Les vraies mascarades sont ailleurs. Regardez bien autour de vous ».
Il ne le montre pas, mais le monde associatif, celui vraiment tourné vers les autres, est un sujet profond pour lui. Révolté, il l’a été plus d’une fois, ne serait-ce qu’à certaines occasions pour lesquelles la couleur des futurs tramways primait, dans les préoccupations municipales, sur pour qui, comment et à quel prix ce nouveau mode de transport.
Partir en bonne santé
Autant dire que la maladie lui gâcherait ce dernier rendez-vous avec l’inéluctable. Mais bon, il n’est pas le seul à souhaiter cette issue médicalement confortable. Il ira heureux retrouver le caveau familial, comme il est heureux aujourd’hui. Peut-être n’a-t-il pas terminé son œuvre ? « J’aurais pu écrire mes mémoires … Mais, finalement non … On ne dit rien et c’est mieux ainsi … Je ne vais quand même pas faire ma sortie comme un chanteur de charme ».
Silence, je m’en vais … Pierre Longuet souligne cependant : « Dans mon testament, il est précisé que je refuse une seule personne à mon enterrement. Je ne dirai pas de qui il s’agit. Lui, il le sait». Sans plus de commentaire. Et avec cet œil pétillant qu’on lui connaît bien, il rajoute : « Je dis cela sans aucun stress. Je n’ai jamais été stressé. Depuis tout jeune, je suis dans cet état d’esprit, c’est ma chance et en plus j’ai eu une vie exceptionnelle ».
Bravade ? Non, vérité : Pierre Longuet appartient à cette humanité assumée : la mort n’est pas un sujet de peur … Et donc, il peut vivre encore longtemps. Le quartier du Boulingrin lui vaudra bien une place ou une rue, un petit coin de paradis à son nom. Mais, évidemment, le ciel peut attendre…
Le moment est venu que l’une des rues de ce Boulingrin pour lequel il s’est passionné porte son nom.
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