Procureur de la République à Rouen, Procureur Général près la Cour d’Appel de Reims et donc Chef de Cour, aux côtés du Premier Président, depuis le 15 Janvier dernier, Jean-François Bohnert est le troisième plus jeune magistrat de France à ce niveau de hiérarchie. C’est dire qu’à cinquante-quatre ans bien des horizons sont ouverts à cet européen convaincu qui parlent six langues, est membre du Réseau Francophone du Droit et préside l’Association des Juristes Français et Allemands.
Dans un portrait rapide, on peut noter quelques concessions personnelles et pudiques : Jean-François Bohnert est alsacien de souche, études et premier poste de magistrat à Strasbourg, époux d’une magistrate en poste à Paris, deux enfants qui ne font pas carrière dans la magistrature et ce rythme de vie auquel il faut se plier : « A mesure des responsabilités et surtout ces dernières années, le célibat géographique s’est imposé ».
Des espaces de respiration ? « Je suis ouvert à la vie. Je pratique, quand je le peux, le ski de fond et le vélo. J’aime beaucoup la musique classique. Voilà, c’est tout ! ». Mais encore ? Jean-François Bohnert est d’un abord simple et direct, il privilégie le dialogue cordial, il n’est surtout pas quelqu’un de compliqué. Qu’on ne se méprenne pas, dans l’exercice de ses responsabilités, la défense de l’intérêt de la collectivité, l’application de la loi et la direction de son parquet, le Procureur Général sait se montrer ferme. Et, il l’est réellement.
Pourquoi exercer la magistrature ?
Comment devient-on magistrat ? La voie s’est ouverte par les voix des magistrats de parquet écoutées lors de ses études : « Ce qui s’est alors imposé à moi c’est le goût pour la direction des enquêtes, les contacts de terrain, l’ouverture sur la société et aussi l’attrait de l’expression orale. J’aime m’exprimer et faire partager mes convictions avec mes collègues du siège ».
Ouverture et conviction ? Certains pourraient voir là comme un oxymore. Disons que, chez Jean-François Bohnert, l’ouverture est une qualité psychologique et la conviction une arme au service de la rhétorique : « Je requiers toujours avec conviction et en général avec fermeté. Je n’ai jamais essayé de requérir au-delà de mes convictions pour me satisfaire ensuite d’un moindre arrêt. La sincérité, voilà ce qui guide mes réquisitions. Que je sois suivi ou non par le siège n’entame en rien mes convictions. Elle est là la justice, entre les réquisitions du procureur et les arrêts du siège ».
La loi est la raison
La justice est-elle juste ? Question stupide mais tentante. Si les juges peuvent être subjectifs, la loi est rationnelle : « C’est la loi qui guide l’impartialité des tribunaux et des cours. Au-delà, la justice se doit d’être humaine et j’ajoute que la nature des délits impose, évidemment, une proportionnalité des peines ». Le jugement est-il, le plus souvent, en phase avec les réquisitions ? Question de statistiques. Jean-François Bohnert ne tombe pas dans le piège de la vanité. Siège et parquet contribuent aux arrêts rendus. Sans plus de commentaires.
La justice, cette inconnue ? « Le premier pas doit être celui de la pédagogie. Je viens d’une Cour qui a mis en place un festival du film judiciaire, source de débats entre lycéens, avocats, magistrats et représentants des forces de l’ordre. C’est peut-être une idée à reprendre. La justice ne doit pas se confiner dans l’espace des palais de justice ».
Membre du groupe de travail, piloté par le Ministère de la Justice et relatif au « Juge du XXIe siècle », Jean-François Bohnert insiste sur deux faits préjudiciables à l’exercice de la profession : une sous-représentation des magistrats (8 000 au niveau national) qui place la France à l’avant-dernière place en Europe et un éparpillement des tâches qui incombent aux magistrats : « Ne faut-il pas revenir aux valeurs cardinales de la profession, souvent masquées par des interventions parfois marginales ? ».
Pas de sécurité sans liberté
Il le dit sans langue de bois, à propos du projet de loi pénale : « La justice doit garder toute l’étendue de son action. Attention, à la fois, à la sécurité et au respect des libertés ». Pour le Procureur Général, l’autorité judiciaire, garante de la liberté, doit toujours avoir, in fine, son mot à dire : « Notre arme, par exemple contre le terrorisme, c’est l’Etat de droit. Le renforcement de la sécurité ne doit pas se faire au détriment des libertés publiques ».
Une exhortation à ses équipes ? « Que chacun porte haut et fort la parole de la République. Appliquer la loi, rien que la loi. Et user de toutes les voies de recours existantes ». Procureur, un métier qui peut rendre heureux ? « Il nous faut avoir foi en l’homme. Dans le cas contraire, on ne peut être que malheureux. Prendre de la hauteur dans le pire des cas et le faire avec une lueur d’espoir. La rédemption est toujours possible. Intransigeant ? Oui, mais avec espoir. La sévérité est une forme de thérapie. N’oublions pas que cette sévérité est attendue par les victimes que nous représentons comme nous représentons l’intérêt collectif de la société ».
J’espère, Monsieur le Procureur Général, m’être fait l’avocat de vos convictions et puisque vous avez cité Albert Camus, lors de votre installation près la Cour d’Appel de Reims, permettez, vous qui conjuguez avec passion justice et liberté, cette citation : « Si l’homme échoue à concilier la justice et la liberté, alors il échoue à tout ».
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